Chapitre I : Les salles de l'oubli (Partie I)
Le
son d'une cloche retentit dans l'enceinte de l'école. La mélodie
cristalline résonna plusieurs minutes, se répercutant sur chacun
des murs en pierres taillées qui constituaient les bâtiments même de l'école.
Un
vent chaud s'engouffrait par la fenêtre de la classe. Tous les
élèves étaient attentifs aux mots prononcés par notre enseignant.
Cependant mes pensées, elles, se perdaient; dans le ciel bleu teinté
de quelques taches blanchâtres et duveteuses, dans les rayons de
soleil qui venaient éclairer les murs blancs de l'enceinte. Mon
regard revenait dans la salle. Je scrutais les épaules et les
chevelures des personnes assises devant moi.
Mon
regard s'arrêtait une fois de plus sur Elle. Sur son silence. Sur son
visage dénué d'une quelconque ride qui aurait pu annoncer un
sourire. Meringue. C'était Elle. En y réfléchissant maintenant,
son surnom pouvait être facilement explicable. Plus jeune. Son
visage rayonnait d'un sourire formidable, un faciès toujours joyeux,
plein de douceur, sucré comme une meringue. Tous les jeunes garçons
désiraient qu'elle puisse être leur amoureuse. Tous.
Mais
un jour... Son visage se voila, ce sourire sucré disparut. Du jour
au lendemain. Elle redevint Eleanore. La petite Meringue fut à jamais
perdue. Cette chaleur devint glace...
"
Tu ne peux absolument pas t'empêcher de reluquer Meringue, toi."
Me chuchota une voix féminine
derrière
moi. A ce moment-là, je ne sus pas si Elle avait entendu. Mais elle
inclina la tête en ma direction. Ses longs cheveux de flammes
ondulèrent dans l'air le temps d'un instant. Nos regards se
croisèrent.
Puis
elle replongea son visage vers sa table...
Que
dire de plus. Je la cherchais dans ma mémoire, je me sentais
nostalgique en repensant à ce sourire perdu. Les souvenirs me
hantant, de ces années passées. Je divaguais dans mes pensées. Les
minutes s'écoulaient. Lentement, comme d'habitude.
Comme
si cette salle de classe était un abîme temporel, dans lequel je ne
pouvais rien faire d'autre que de me perdre dans mes songes. Parfois
je les écrivais, les gribouillais, les dessinais, comme si je m'en
débarrassais, pour ne pas que cette nuée m'encombre.
Depuis
toujours, je suis spectateur. Spectateur d'un théâtre d'humeurs, de
dialogues, où toutes les personnes m'entourant sont les acteurs de
cette pièce mal jouée.
Je
regarde les autres agir, silencieusement, terré sous mon
incapacité à rompre cette glace me séparant des autres. Une glace
que j'ai subi, puis que j'ai finalement entretenu.
Je
suis l'élève presque muet qui comble un vide, qui s'assied toujours
à la même place, seul. Une coquille vide, faisant physiquement acte de
présence, mais n'ayant que l'enveloppe de vraiment présente. Mon
esprit erre, parfois il se manifeste, par quelques gouttes d'encre,
quelques coups de crayon de papier, un soupir.
Mes
yeux stoppent leurs aller-retours dans le vide et finalement, mon
regard se re-pose sur Meringue.
D'une
main elle soupèse sa tête, de l'autre elle gribouille surement un
coin de son cahier, elle aussi ayant son attention à toute autre chose que le cours en lui-même. Son visage est
amorphe, livide..
Je
n'arrive plus à l'imaginer souriante. Je vois ce qu'est un sourire.
Et je la vois telle qu'elle est. Mais le mélange des deux est
surement un résultat désormais impensable, inatteignable.
On
m'interpelle.
"Tu
es avec nous Ernis ? Ou es-tu encore entrain de rêvasser ?"
Tout
le monde se retourne vers moi, un ricanement moqueur général débute. Il
illustre bien la réaction-type de ces animaux, qui sont censés être
mes « camarades ».
Oui
Ernis le rêveur, c'est moi. Enfermé entre quatre murs. Écroué moralement
parmi tous ces abrutis. Je ne pense pas être assujetti à une
quelconque haine de la part de qui que ce soit, cependant, je sais
très bien que je suis un sujet de moquerie récurrent pour les
autres. Mais qu'importe. Ils ne sont rien d'autre que des pots de
fleur un peu bruyants. Des décorations néfastes, évoluant par
petits groupes, ayant leurs leaders, leurs conversations, leurs
crises d'hypocrisie.
Aucune
personne de la classe ne m'est proche ou familière. Ils ne
m'apportent rien, de toute évidence.
J'essaie
tant bien que mal de rattraper le fil du cours, je bâcle ma prise de
notes, je ne sais même pas de quoi parlons-nous actuellement.
Et
cela représente mon ressenti de tous les jours. Je suis un engrenage
-inutile, certes- faisant partie d'une machine géante. Cependant.
Bien que présent parmi tous les autres rouages de cette machine-vie, le moteur
fonctionne sans moi, il ne passe pas par moi. La vie n'a pas besoin
de moi.
Je
resterais un éternel étranger..
..
Quoi que je fasse.