Chapitre I : Les salles
de l'oubli (Partie II)
Quelques
heures ont passé, enfin "l'alarme de sortie de prison"
retentit.
Malgré mon envie de déguerpir au plus vite de cette chaise inconfortable, je reste lent à ranger méticuleusement mes affaires. Sans être intéressé, cela effleure quand même ma conscience. Bref. Être maniaque pour quelque chose d'inutile. Félicitations.
Malgré mon envie de déguerpir au plus vite de cette chaise inconfortable, je reste lent à ranger méticuleusement mes affaires. Sans être intéressé, cela effleure quand même ma conscience. Bref. Être maniaque pour quelque chose d'inutile. Félicitations.
Tous
les autres ont fui, dans un vacarme de raclements de chaises ignoble. Un vrai troupeau d'animaux, cela justifie totalement mes
précédents dires. Leur humanité a dû s'envoler je ne sais où et
cela je ne sais quand. Cependant. Ils n'ont plus rien d'humain. Une
grimace m'échappe. Et je sens que l'on me regarde. Je relève la
tête.
Son
regard venait de percuter le mien. Je sentais ses grands yeux vert-émeraude me scruter, installant une gêne terrible en moi. Je
peinais à soutenir l'impact de son visage, à supporter le poids de
ce silence. Trois mètres séparaient nos deux bureaux, mais quand
bien même nous n'étions pas collés, je sentais que l'atmosphère
avait totalement changé, s'étant totalement alourdie.
Nous
étions figés, moi encore assis sur ma chaise, elle debout à côté
de son bureau. Elle souleva son sac. Et partit sans rien dire. Ce
formidable "échange" avait sûrement déjà trop duré. Je
soupirais, terminant le rangement de mon sac, me levais puis me
dirigeais vers la sortie.
Qu'était
devenue, la souriante Meringue. Un monstre de glace l'aurait-elle
dévorée de l'intérieur ? Ce n'est pas mon habitude de mélanger
symbolique et irréel. Mais pour le coup, je ne sais pas comment
interpréter ce changement.
Un regard vide. Rongé par une expression livide. Ton existence n'était
pas si insipide. Tu comptais pour quelques âmes... Au moins la mienne.
J'aimerais
juste découvrir la raison de ce changement radical d'humeur, de
façon d'être. Moi qui me languissait rapidement en terme
d'attention, Elle, semblait encore être capable d'attiser une
curiosité maladive en moi; j'avais besoin de savoir, de comprendre..
Et
encore, quand je parle de besoin, je ne songe même pas au "Besoin"
rhétorique, qui veut que lorsque quelque chose nous interpelle,
nous cherchons (dans le cas où il s'agirait d'un fait, d'une
réaction ou d'une chose inconnue) à en conclure par une explication
cohérente, définissant une raison pour que cela nous interpelle..
Mais ce n'est même pas cela.
Dans mon cas.
Meringue n'a rien d'un fait ou d'une chose qui m'interpelle.
J'explique cette curiosité par un phénomène d'évolution radicale,
ayant lieu dans mon environnement.
C'est
comme si vous habitiez près d'une immense forêt et que du jour au
lendemain, elle était rasée. Cela créerait un choc, ce choc vous
amènerait à un questionnement. D'où ma curiosité quant à
Meringue. J'ai constaté un choc... Et cela m'interpelle, finalement.
Tandis que je
sortais, une voix parvenait à ma conscience.
« C'est
à cause d'Elle, que tu rêvasses tout le temps ? », cette
voix n'était autre que celle de ma professeure, qui encore une fois,
venait de me tirer hors de mes songes, pour la deuxième fois de la
journée, elle allait vraiment finir par croire que j'étais tout le temps
« absent ».
« Même
là tu recommences, aurais-tu des soucis de concentration
quelconque ?
- Je ne pense
pas, non. Lui rétorquai-je.
-Tu sais
Ernis, à force de ne jamais parler, si c'est de l'attention que tu
cherches, jamais tu ne pourras la trouver. Me lâcha-t-elle. »
Quoi ?
De l'attention ? Ne jamais parler ? En quoi cela est-ce
nocif ? En quoi ai-je besoin des autres, lorsque je sais qu'ils
ne m'apportent rien. Et je n'ai jamais cherché de l'attention.
Qu'est ce que c'est que cette prof qui cherche à s'immiscer dans ma façon de vivre ?
« Là,
n'est pas la question, c'était tout ? Je ne cherche pas
d'attention. Je suis bien comme je suis.
-Comme tu
voudras. Malgré tout, cela ne t'excuse pas d'être distrait en
cours. Tu auras donc une heure de retenue dans la semaine.
D'ailleurs, as-tu trouvé quelqu'un pour le projet social et moral de
fin d'année ? »
Une
heure de retenue pour être distrait ? Parfois je me demande si
c'est bien normal de vivre dans un monde aussi insensé. Mais
passons, ce genre de « subtilité » fait partie de la vie
de tous les jours, de toute manière, je n'étais vraiment pas
intéressé par le cours, et, si c'est en réalité ça le vrai motif de la punition,
alors certes, je suis coupable. Cependant, le projet en binôme vient
sinistrement de me retomber dessus.
J'oublie
tout, enfin, j'oublie souvent toutes les choses qui me paraissent
inutiles ou alors juste dénuées d'un quelconque sens pour moi. Ce projet en
binôme en fait totalement partie.
Et
parfois je me demande si je peux qualifier ma mémoire de sélective
mais, il ne s'agit pas de cela. Sinon j'aurais sûrement tout oublié
quant à l'histoire de Meringue. Quant à ma propre histoire,
surtout. Pourquoi rester bloqué sur des ressentis négatifs ? Je
n'ai jamais compris ce qui les retenait dans ma mémoire. Hormis si
bien sûr il s'agissait d'un acte inconscient du cerveau, qui serait
de conserver des morceaux négatifs d'un puzzle mémoriel, des
éléments en trop, qui nous perdraient durant les moments où nous
tenterions de nous reconstruire.
Je
divague encore, loin, trop loin de la « réalité » qui
m'entoure. J'hoche la tête comme pour signifier à ma professeure
que j'ai compris ce dont elle me parlait. Le signe le moins expressif
qui puisse exister, mais qui permettait de clore aisément n'importe
quelle brimade. Je passais mon sac à l'épaule. Et empruntais moi aussi la direction de la sortie.
« Eleanore
aussi est toute seule pour le moment, pour le projet. » Conclut-elle, d'une
voix calme. Calme, juste calme ?
Quoi ?
Cette remarque m'interrompait net. Je venais de déplier ma lourde
carapace morale. Je ne savais pas si j'avais été surpris entrain de
l'observer, ou si cette remarque était le résultat d'un pur
concours de circonstance et de hasard. Que soupçonnait-elle en
sachant cela ? Que constatait-elle ? J'ai été
imprudent, distrait. Et c'est au final peut-être un motif valable de
punition. Je suis dépité. Je viens de glisser, glisser du bord de cette
falaise de certitude artificielle sur laquelle je m'étais posté.
Peut-être
suis-je un éternel étranger...
… Car
je suis aussi un étranger face à moi-même.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire