vendredi 26 juin 2015

Chapitre I : Les salles de l'oubli (Partie II)



Quelques heures ont passé, enfin "l'alarme de sortie de prison" retentit. 
 Malgré mon envie de déguerpir au plus vite de cette chaise inconfortable, je reste lent à ranger méticuleusement mes affaires. Sans être intéressé, cela effleure quand même ma conscience. Bref. Être maniaque pour quelque chose d'inutile. Félicitations.
 Tous les autres ont fui, dans un vacarme de raclements de chaises ignoble. Un vrai troupeau d'animaux, cela justifie totalement mes précédents dires. Leur humanité a dû s'envoler je ne sais où et cela je ne sais quand. Cependant. Ils n'ont plus rien d'humain. Une grimace m'échappe. Et je sens que l'on me regarde. Je relève la tête. 

 Son regard venait de percuter le mien. Je sentais ses grands yeux vert-émeraude me scruter, installant une gêne terrible en moi. Je peinais à soutenir l'impact de son visage, à supporter le poids de ce silence. Trois mètres séparaient nos deux bureaux, mais quand bien même nous n'étions pas collés, je sentais que l'atmosphère avait totalement changé, s'étant totalement alourdie.

  Nous étions figés, moi encore assis sur ma chaise, elle debout à côté de son bureau. Elle souleva son sac. Et partit sans rien dire. Ce formidable "échange" avait sûrement déjà trop duré. Je soupirais, terminant le rangement de mon sac, me levais puis me dirigeais vers la sortie.

Qu'était devenue, la souriante Meringue. Un monstre de glace l'aurait-elle dévorée de l'intérieur ? Ce n'est pas mon habitude de mélanger symbolique et irréel. Mais pour le coup, je ne sais pas comment interpréter ce changement.
 Un regard vide. Rongé par une expression livide. Ton existence n'était pas si insipide. Tu comptais pour quelques âmes... Au moins la mienne. 

  J'aimerais juste découvrir la raison de ce changement radical d'humeur, de façon d'être. Moi qui me languissait rapidement en terme d'attention, Elle, semblait encore être capable d'attiser une curiosité maladive en moi; j'avais besoin de savoir, de comprendre..

  Et encore, quand je parle de besoin, je ne songe même pas au "Besoin" rhétorique, qui veut que lorsque quelque chose nous interpelle, nous cherchons (dans le cas où il s'agirait d'un fait, d'une réaction ou d'une chose inconnue) à en conclure par une explication cohérente, définissant une raison pour que cela nous interpelle.. Mais ce n'est même pas cela.
Dans mon cas. Meringue n'a rien d'un fait ou d'une chose qui m'interpelle. J'explique cette curiosité par un phénomène d'évolution radicale, ayant lieu dans mon environnement.
 C'est comme si vous habitiez près d'une immense forêt et que du jour au lendemain, elle était rasée. Cela créerait un choc, ce choc vous amènerait à un questionnement. D'où ma curiosité quant à Meringue. J'ai constaté un choc...  Et cela m'interpelle, finalement.

Tandis que je sortais, une voix parvenait à ma conscience.
« C'est à cause d'Elle, que tu rêvasses tout le temps ? », cette voix n'était autre que celle de ma professeure, qui encore une fois, venait de me tirer hors de mes songes, pour la deuxième fois de la journée, elle allait vraiment finir par croire que j'étais tout le temps « absent ».
« Même là tu recommences, aurais-tu des soucis de concentration quelconque ?
- Je ne pense pas, non. Lui rétorquai-je.
-Tu sais Ernis, à force de ne jamais parler, si c'est de l'attention que tu cherches, jamais tu ne pourras la trouver. Me lâcha-t-elle. »

   Quoi ? De l'attention ? Ne jamais parler ? En quoi cela est-ce nocif ? En quoi ai-je besoin des autres, lorsque je sais qu'ils ne m'apportent rien. Et je n'ai jamais cherché de l'attention. Qu'est ce que c'est que cette prof qui cherche à s'immiscer dans ma façon de vivre ?

« Là, n'est pas la question, c'était tout ? Je ne cherche pas d'attention. Je suis bien comme je suis.
-Comme tu voudras. Malgré tout, cela ne t'excuse pas d'être distrait en cours. Tu auras donc une heure de retenue dans la semaine. D'ailleurs, as-tu trouvé quelqu'un pour le projet social et moral de fin d'année ? »

           Une heure de retenue pour être distrait ? Parfois je me demande si c'est bien normal de vivre dans un monde aussi insensé. Mais passons, ce genre de « subtilité » fait partie de la vie de tous les jours, de toute manière, je n'étais vraiment pas intéressé par le cours, et, si c'est en réalité ça le vrai motif de la punition, alors certes, je suis coupable. Cependant, le projet en binôme vient sinistrement de me retomber dessus.
J'oublie tout, enfin, j'oublie souvent toutes les choses qui me paraissent inutiles ou alors juste dénuées d'un quelconque sens pour moi. Ce projet en binôme en fait totalement partie.

            Et parfois je me demande si je peux qualifier ma mémoire de sélective mais, il ne s'agit pas de cela. Sinon j'aurais sûrement tout oublié quant à l'histoire de Meringue. Quant à ma propre histoire, surtout. Pourquoi rester bloqué sur des ressentis négatifs ? Je n'ai jamais compris ce qui les retenait dans ma mémoire. Hormis si bien sûr il s'agissait d'un acte inconscient du cerveau, qui serait de conserver des morceaux négatifs d'un puzzle mémoriel, des éléments en trop, qui nous perdraient durant les moments où nous tenterions de nous reconstruire.

            Je divague encore, loin, trop loin de la « réalité » qui m'entoure. J'hoche la tête comme pour signifier à ma professeure que j'ai compris ce dont elle me parlait. Le signe le moins expressif qui puisse exister, mais qui permettait de clore aisément n'importe quelle brimade. Je passais mon sac à l'épaule. Et empruntais moi aussi la direction de la sortie. 
    « Eleanore aussi est toute seule pour le moment, pour le projet. » Conclut-elle, d'une voix calme. Calme, juste calme ? 

Quoi ? Cette remarque m'interrompait net. Je venais de déplier ma lourde carapace morale. Je ne savais pas si j'avais été surpris entrain de l'observer, ou si cette remarque était le résultat d'un pur concours de circonstance et de hasard. Que soupçonnait-elle en sachant cela ? Que constatait-elle ? J'ai été imprudent, distrait. Et c'est au final peut-être un motif valable de punition. Je suis dépité. Je viens de glisser, glisser du bord de cette falaise de certitude artificielle sur laquelle je m'étais posté.


Peut-être suis-je un éternel étranger...
 … Car je suis aussi un étranger face à moi-même.

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